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Dezso NEMETH : suivre la voix de l’implicite

Dezso Nemeth, lauréat IDEXLYON Fellowships - © Vincent Moncorgé
Dezso Nemeth, lauréat IDEXLYON Fellowships - © Vincent Moncorgé

Spécialiste de la mémoire implicite, Dezso Nemeth développe une approche où la psychologie théorique se frotte à l’expérimentation. Il dévoile ainsi des mécanismes essentiels à notre cognition et par nature difficile à expliciter.




Dezso Nemeth n’est pas arrivé à Lyon par hasard. Ce fils d’un professeur de français formé en Sorbonne a baigné dans la culture française. S’il rencontre encore des difficultés pour apprendre la langue, la France a implicitement une place importante dans sa vie.

Peut-on penser que son inconscient l’a guidé vers la capitale des Gaules ? Il ne repoussera sans doute pas l’hypothèse. La découverte de Freud et la lecture de ses théories, pendant ses années de lycée en Hongrie, lui ont donné le goût des neurosciences. Mais, à l’époque des neurotechnologies, ces théories du XIXe siècle ne peuvent plus être abordées seulement depuis un canapé, il étudie donc la psychologie expérimentale. « J’avais envie d’une evidence-based psychology », explique le chercheur, en faisant référence à l’evidence-based medecine, la médecine fondée sur les faits qui intègre la logique scientifique pour mesurer ses progrès et évaluer ses pratiques depuis la fin du XXe siècle.

En 2005, il soutient une thèse de doctorat sur la relation entre mémoire et langage à l’Université Eotvos Lorand de Budapest. Ce sujet n’est pas sans influence freudienne : il couvre la question de la mémoire implicite. Ce domaine tente d’expliquer des apprentissages difficiles à cerner bien qu’expérimentés par tout le monde. « Il peut s’agir de sport, comme le vélo, de la langue maternelle… Ce champ recouvre tous les apprentissages qui ne s’appuient pas sur des règles explicites », précise le chercheur.

Pour l’explorer, Dezso Nemeth combine des méthodes comportementales de la psychologie expérimentale (comme le suivi du regard) et des mesures de l’activité du cerveau (EEG ou IRM). Il a étudié aux États-Unis pour compléter sa formation théorique et technique. Tout en enseignant la psychologie dans des universités hongroises, le jeune chercheur se forme aux neurosciences cognitives à l’Université Georgetown (Washington), et en particulier à l’utilisation et à la lecture des IRM fonctionnel, une technique d’imagerie cérébrale de pointe à l'Université du Texas (Austin). De retour en Hongrie, jouissant d’un confortable poste de professeur à Budapest, il a encore envie de changement.

« J’ai 44 ans. Je suis peut-être en train de faire ma crise de la quarantaine », s’amuse le chercheur. « J’avais besoin de nouveauté. Après un changement, la créativité devient meilleure », se corrige-il plus sérieusement, dans un mélange de bonne humeur et de rigueur qui semble le caractériser.

Sa décision de postuler à l'appel à projets Fellowships de l’IDEXLYON est pourtant loin d’être inconsidérée. Elle repose sur la qualité de l’environnement scientifique du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon, hébergé sur le site du Centre Hospitalier du Vinatier à Bron (Établissement lyonnais référent en psychiatrie et santé mentale), où il vient d’installer son équipe.

« C’est fantastique ! Tout est rassemblé sur ce Neurocampus, depuis les services médicaux avec les patients jusqu’aux unités de recherche fondamentale », s’enthousiasme-t-il. Cette concentration des énergies est cruciale pour sa discipline, l’accès aux patients y est déterminant.

Dezso Nemeth va ainsi pouvoir initier une série d’expériences auprès de volontaires en attente de chirurgie contre l’épilepsie sévère. Quelques jours avant l’opération, les médecins posent à ces patients un implant dans le cerveau afin de localiser précisément les zones impliquées dans le déclenchement des crises épileptiques. Cette technique permet aux chirurgiens d’éviter de léser des tissus cérébraux sains. C’est aussi une opportunité pour les neurobiologistes.

« Durant cette période, les patients volontaires peuvent réaliser des tâches de mémoire pour nous et, grâce à leur implant, nous pouvons étudier l’activité du cerveau avec une précision inégalée », précise le psychologue.

Ce type de test va aider les chercheurs à identifier les structures cérébrales impliquées dans la cognition implicite mais aussi à comprendre comment elles interagissent. « Il n’y a pas une mémoire mais un ensemble de systèmes de mémoire dans le cerveau. Chacun est lié à un type de tâche ou de situation », explique Dezso Nemeth. « Au cours des 20 dernières années, on a découvert que ces différentes structures de la mémoire fonctionnent à travers des processus à la fois coopératifs et compétitifs ». Ainsi, pour assurer l’exécution d’une tâche ou d’un apprentissage, certaines régions du cerveau vont collaborer tandis que d’autres seront mises en sourdine. Par exemple, le cortex préfrontal, le siège des décisions et des fonctions exécutives en général, joue un rôle très important pour l’apprentissage explicite, notamment pour diriger l’attention du sujet. À l’inverse, son rôle apparait faible lors des apprentissages implicites.

Élucider la fonction et les relations des différentes structures du cerveau lors de l’apprentissage implicite constitue le cœur du travail de Dezso Nemeth et de son équipe. Cette démarche pourrait éclairer des situations pathologiques, comme les troubles du spectre autistique ou la schizophrénie, mais aussi aider à développer des stratégies pour favoriser ce type d’apprentissages. De là à croire que Dezso Nemeth pourra mettre en pratique ses découvertes pour améliorer son apprentissage du français, il n’y a qu’un pas.

Réalisé par Agnès Vernet, pour l'Université de Lyon | Mai 2020